- Émilie Querbalec
blog
Hexa, de Gabrielle Filteau Chiba
Hexa, de Gabrielle Filteau-Chiba, éditions Stock pour l’édition 2025.
J’avais découvert Gabrielle Filteau-Chiba avec sa trilogie du Kamouraska, et j’étais tombée littéralement amoureuse de son univers, de sa langue si musicale et savoureuse, ses descriptions sensuelles et tellement vivantes de la nature, ses portraits singuliers de femmes, de mère, de fille ou de sœur, sa foi en la sororité et son ancrage écoféministe.
Donc forcément, quand a paru Hexa, roman d’anticipation écoféministe, je n’ai pas hésité une seconde !
La quatrième de couverture pourtant ne m’inspirait pas plus que ça avec sa tonalité Young Adult/post-Apo :
« Thalie, 16 ans, vit avec ses parents, Gabrielle et Sandrine, dans la Cité de Sainte-Foy au Québec. Nul n’a le droit de franchir le Mur qui entoure la ville et protège ses habitants de la dévastation et du chaos qui sévissent au-delà.
Chaque printemps et jusqu’au retour des neiges, Sandrine quitte son amoureux et sa fille pour reboiser le nord du pays avec un groupe de femmes. Cette année, Thalie obtient le droit de l’accompagner. Loin de toute forme de civilisation, au contact de ces planteuses d’arbres généreuses et acharnées, l’adolescente découvre un monde insoupçonné, où la nature est omniprésente, où la sororité règne, où tout semble encore possible. «
Rien de nouveau sous le soleil en matière de SF proprement dite, on retrouve dans cette histoire des échos de lieux communs mille fois explorés : dystopie politique avec des « smart-city » autoritaires dans un contexte de réchauffement climatique et désastre écologique, nature rendue inhospitalière par l’action de l’homme, drones de surveillance, contrôle de la fécondité et du corps des femmes, etc.
Sauf que.
Sauf qu’avec ces ingrédients de base, l’autrice québécoise réussit à nous embarquer dans un monde bien à elle.
D’abord, le contexte : cela se passe au Canada, avec une frontière, un mur, qui sépare le Sud du Nord. Au-delà de cette frontière ultra-surveillée, c’est le désastre, avec des hectares et des hectares de forêt brûlée. Et plus loin encore, il y a ce rêve d’un nord sauvage, où les hommes ne vivent pas asservis par les technologies qui font tourner les villes du Sud. On ne sait pas si ce Nord de légende existe, mais c’est un rêve qui nourrit secrètement les espoirs de ceux qui aspirent à une vie plus libre. En attendant, il faut restaurer ce qui a été détruit, et ce travail de forçat est confié à des femmes (des hommes aussi, mais l’histoire se focalise sur les réseaux de femmes). Des parias, des folles à lier, des femmes qui ne rentrent dans aucune case, des mères à qui l’on a confisqué son enfant pour cause d’instabilité affective, bref des femmes qui refusent la loi de ces cités autoritaires et normatives.
Le contexte posé, très vite l’autrice nous embarque dans son univers. Et c’est là que l’on retrouve avec joie la poésie et la musique qui font le charme de ses précédents romans, avec sa manière bien à elle de parler de la nature – une nature pleine de tiques et de mouches qui bourdonnent, loin des visions idéalisées que l’on pourrait se construire quand on n’y est pas confronté réellement. Et toujours des portraits de femmes rebelles, libres, de mères puissantes, fragiles et émouvantes.
Le roman tresse trois histoires de femmes, celle de Thally, d’Hexa et de Sandrine, la mère de Thally. J’ai beaucoup aimé ce dernier personnage, avec des scènes et passages fabuleux où l’on plonge dans ses doutes, sa folie maternelle, mais aussi son courage, sa lutte,sa générosité et son amour. Hexa est un autre de ces personnages féminins ancrés dans la Terre Mère, une « sorcière » qui nous montre le nord, en quelque sorte, incarnation de la force et du dépassement de l’amour maternel.
Alors oui, il y a des facilités dans l’intrigue, des bouts de ficelles qui pendouillent un peu ou que l’on voit raccommodés et bien apparents, avec un côté un peu fouillis, organique, végétal, mais c’est aussi pour cela que j’aime l’écriture et l’univers de Gabriel Filteau-Chiba. C’est une femme qui a du cœur et ça se sent, ça affleure dans chacune de ses phrases.
Alors, amateurs du genre, amoureux de la SF dans sa forme la plus pure et avant-gardiste, passez votre chemin, ce roman n’est sans doute pas pour vous.
Mais si vous voulez un récit d’anticipation écoféministe avec une touche d’utopie, qui parle de solidarité, d’amour, d’amitié, d’engagement pour la nature, là, vous serez servis. Et même si le futur décrit ne semble malheureusement pas si improbable quand on voit les tendances qui convergent aujourd’hui, ça fait fichtrement du bien de se projeter au-delà, avec cette histoire d’hommes et de femmes qui luttent, solidaires, pour restaurer la forêt et retrouver une vie plus libre et plus en harmonie avec la nature.

Partager l’article