- Émilie Querbalec
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Habiter en oiseau de Vinciane Despret
Habiter en oiseau, de Vinciane Despret, aux éditions Acte Sud, dans la collection « Mondes Sauvages ».
J’ai découvert Vinciane Despret en faisant des recherches pour une table ronde sur le thème de l’altérité en SF, il y a un peu plus d’un an. Elle venait de publier « Autobiographie d’un poulpe, et autres récits d’anticipation » (Acte Sud).
Si « Autobiographie d’un poulpe » relève de la fiction scientifique, ou si l’on préfère, de la science fictive (avec en préambule une référence réjouissante à la thérolinguistique imaginée par Ursula K. Le Guin.), « Habiter en oiseau » est un essai de philosophie des sciences, qui laisse la part belle à la
poésie.
Dans son livre, la philosophe se penche sur l’évolution des croyances et des méthodes qui ont orienté l’étude du comportement territorial des oiseaux. Car qu’est-ce qu’un territoire, du point de vue des animaux ? Vinciane Despret mène l’enquête auprès des ornithologues.
Le mot même de « territoire » n’a rien d’innocent, précise-t-elle d’ailleurs, rappelant que l’on ne doit pas oublier « les violences appropriatives et les destructions qui ont configuré certaines de ses significations actuelles ». Se basant sur la terminologie et les méthodes employées par les chercheurs, Vinciane Despret montre comment on a pu porter notre attention sur cette seule
agressivité, en la comprenant dans nos schémas habituels de compétition. Partant donc du principe qu’un territoire est « n’importe quel lieu défendu », selon la définition du zoologue G.K Noble (1939), différentes explications au comportement des oiseaux furent proposées. S’agit-il de préserver un espace ressource pour la nourriture ? Ou bien serait-ce une affaire de mâles, le territoire représentant une sorte de siège social à partir duquel parader et chanter pour intimider ses adversaires, ou répondre aux lois de la sélection sexuelle ? Chaque explication, démontre la philosophe en se penchant sur plus d’un siècle de littérature scientifique, est « un coup de projecteur » qui laisse dans l’ombre les autres interprétations possibles.
Ce que l’observation montre, finalement, c’est qu’il existe en réalité de multiples formes de territorialisation.
Vinciane Despret nous exhorte ainsi à faire preuve d’une attention plus ouverte, à « accorder de l’importance », écouter, observer, chercher les hypothèses qui s’accordent le mieux à un réel plus riche et plus divers. « S’arrêter, écouter, écouter encore : ici, maintenant, se passe et se crée quelque chose d’important. » Et de conclure : « Ne pas oublier que ces chants sont en train de disparaître, mais qu’ils disparaîtront d’autant plus qu’on n’y prête pas attention. Et que disparaîtront avec eux de multiples manières d’habiter la Terre, des inventions de vie, des compositions, des partitions mélodiques, des appropriations délicates, des manières d’être et des importances ».
Une belle lecture, donc, pour l’amoureuse des chants d’oiseaux que je suis. Et, à mon sens, le livre vibrant, passionné et doux, d’une des voix les plus inspirantes de notre époque.
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