Semiosis, de Sue Burke

Traduit par Florence Bury, chez Albin Michel Imaginaire

 

« Reconnaissants de l’occasion qui nous est donnée de fonder une nouvelle société en pleine harmonie avec la nature, en scellant ce pacte, nous nous promettons confiance mutuelle et soutien. Nous serons confrontés à des épreuves, des dangers, voire à l’échec, mais nous rechercherons avec prudence et raison la joie, l’amour, la beauté, la communauté et la vie ».

 

C’est sur cette déclaration d’intention que s’ouvre Semiosis, roman de l’américaine Sue Burke traduit par Florence Bury chez Albin Michel Imaginaire.

 

Je dois dire que je l’attendais depuis longtemps, étant férue des récits d’aventure sur des planètes lointaines, façon Aldebaran en BD, par exemple. J’espérais aussi lire autre chose qu’une triste histoire de colonisation, mettant en œuvre pour la millième fois la déplorable stupidité humaine. Et je n’ai pas été déçue.

 

Semiosis est une grande fresque qui retrace l’histoire d’une colonie humaine sur une planète habitable, a priori hospitalière. Animés par une belle utopie, ces hommes et ces femmes sont prêts à affronter les épreuves que leur réserve ce nouvel environnement. Leur rêve : fonder une civilisation qui ne reproduira pas les erreurs qui ont mené la Terre au désastre. Mais l’atterrissage a entraîné de grosses pertes matérielles et humaines, et la priorité est d’abord de survivre.

 

Dans cette trame qui se déploie sur une centaine d’années, viennent s’enchâsser des histoires individuelles, chacune offrant une vision différente des choses. Les narrateurs et les narratrices se succèdent au fil des générations, affrontant, à leur échelle, les défis qui se présentent à eux. D’une manière assez subtile, on les voit infléchir l’évolution de cette civilisation naissante, par leurs intuitions, leurs idées, leur personnalité et leurs actes. Ces voix sont toutes différentes : certaines sont austères, d’autres légères et joyeuses, jeunes ou matures, sages ou généreuses.

 

J’ai pris beaucoup de plaisir à naviguer entre ces personnages, appréciant l’exercice, même si certains narrateurs m’ont plus touchés que d’autres, comme Higgins, le maître-fipp, à la fois infatué de sa personne et généreux, doué d’une intuition et d’une empathie qui fera de lui le défricheur de la communication avec l’autre.

L’autre, c’est d’abord Steveland, le bambou-arc-en-ciel. Car sur Pax, les plantes sont intelligentes, certaines plus que d’autres. Steveland est un arbre puissant, doué d’une capacité d’adaptation extraordinaire, mais tragiquement seul, comme on l’apprend au fil de l’histoire. Pour lui, les humains sont des animaux, et il est amusant de voir qu’il doute d’abord de leur intelligence. Peu à peu se développe entre Steve et la nouvelle cité humaine une véritable relation symbiotique, qu’il qualifie de « mutualisme » ou de « domestication » selon la manière dont son ego s’affirme.

 

Au passage, j’ai beaucoup apprécié la manière dont l’autrice présente le métabolisme du bambou-arc-en-ciel, une sorte d’extrapolation, finalement, de ce que l’on sait aujourd’hui sur les plantes. Il y a juste ce qu’il faut de bio et de chimie dans le récit pour se figurer comment il interagit sur son environnement et développe son intelligence, à travers ses fruits, ou ses racines à la fois fonctionnelles et mémorielles. Certains lecteurs pourront trouver ce vocabulaire abscons, mais moi ça m’a plu. Alors il est vrai toutefois que le fonctionnement sensitif, cognitif et émotionnel de Steveland reste calqué, finalement, sur un modèle anthropocentrique. Certes, il a des limitations et des caractéristiques propres, mais sa manière de penser, son rapport au temps, à son environnement, sont très proches de celles d’un être humain. Ce qui est beau, c’est que la relation avec ses « animaux » le fait grandir et évoluer, comme le montre par exemple cette « racine humoristique » qu’il fait pousser sur une suggestion de Lucille, l’une des narratrices que j’ai trouvé particulièrement attachante.

 

Steveland apprend, s’adapte, évolue, devient meilleur et cherche à ne pas reproduire les erreurs du passé. Il est comme un miroir de cette humanité qui cherche aussi à donner le meilleur d’elle-même, et se transforme aussi à son contact. Moi aussi, je rêve d’un un monde où les hommes et les femmes auraient pour aspiration principale de donner le meilleur d’eux-mêmes au service du bien commun.

 

Une autre rencontre survient par la suite, cette fois avec une espèce animale, ou insectoïde. Les « verriers », probablement venus eux aussi d’un autre monde, vont être l’occasion pour les « pacifistes » de faire face à leurs vieux démons. Ces derniers chapitres sont riches en émotion, et passionnants quant aux questions posées. Car comment développer une civilisation fraternelle et non violente, quand les germes de la peur, de la haine et de la violence se sont déjà glissés au sein de la communauté ? Est-il possible de contrer l’agressivité par la bienveillance, ou faut-il élaborer des stratégies de domination et de soumission détournées pour domestiquer son ennemi ? N’est-ce pas, aussi, une forme de violence ? Qu’est-ce qui fera la différence ?

 

À ces questions d’ordre, disons, philosophique, s’ajoute la dimension psychologique du récit. La communauté pacifique est comme un laboratoire, où tous les aspects de l’âme humaine se côtoient, en condensé. Tout cela est montré sans didactisme, avec une sorte de fausse simplicité qui soulève des questions à laquelle le récit propose des réponses ouvertes, tout en nuances.

 

Le titre du roman Semiosis, évoque l’art délicat de l’interprétation des signes. Steveland s’exprime visuellement, en faisant apparaître des signes à sa surface grâce à des chromoplastes. Les Verrier, l’autre race extraterrestre, s’expriment oralement par des claquements et des crissements difficiles à interpréter pour les humains, mais pas que : ils font aussi intervenir tout un langage d’odeurs, chaque molécule portant sa propre signification en fonction du contexte. L’aspect linguistique n’est peut-être pas plus développé que ça, d’ailleurs, j’ai un peu regretté que les premiers colons aient décidé de choisir l’anglais comme seule et unique langue commune, dans le but louable d’éviter les conflits internes. J’ai trouvé ça vraiment dommage, étant donné l’esprit du roman. L’anglais, bon. En 2065, d’abord, il n’est pas sûr que l’anglais soit toujours la langue dominante dans le monde. Ce sera peut-être le chinois, allez savoir. Et puis, étant donné que ces premiers explorateurs sont porteurs d’une utopie, pourquoi ne pas s’être attribué une langue nouvelle, ça aurait déjà été une utopie en soi, et on sait qu’il en existe, je pense par exemple à l’esperanto. Je suis sûre que les pacifistes auraient approuvé.

 

Mais cela n’a pas entaché mon plaisir, et pour moi, cette lecture est un coup de cœur. J’ai aimé cette science-fiction qui fait voyager, réfléchir, rire ou et (presque) pleurer (je ne dirai pas à quel moment de l’histoire, mais vous verrez), et qui surtout, surtout, propose une vision réaliste mais positive de ce que l’homme pourrait accomplir, si on avait la possibilité, un jour, de faire table rase des paradigmes sur lesquels se sont construites nos civilisations. Est-ce vraiment possible ? L’histoire le dira.

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Bibliographie

Émilie Querbalec

Romans :

  • Les Sentiers de Recouvrance, janvier 2024, Albin Michel
  • Les Chants de Nûying, août 2022, Albin Michel (Albin Michel Imaginaire)
  • Quitter les monts d’Automne, septembre 2020, chez Albin Michel (Albin Michel Imaginaire), et chez Livre de Poche, août 2022.
  • Les Oubliés d’Ushtâr, mai 2018, chez Nats Éditions

Nouvelles :

  • « Skin », dans le Bifrost numéro 109, janvier 2023

  • « La Montagne et les eaux », préambule à l’anthologie « Imaginaires d’Asie » du collectif Hydralune, décembre 2022

  • « A cœur suspendu », anthologie Utopiales 2022, sur le thème des limites.

  • « La Cité radieuse », anthologie Hypermondes 2022 sur le thème de l’Utopie, Les Moutons Électriques.

  • « Floraisons », fanzine Once Upon A Time chez RoyZz éditions, mai 2022, initialement parue dans le Géante Rouge 2021, novembre 2021

  • « Venus Requiem », nouvelle, dans l’anthologie « Afrofuturisme » des Imaginales 2022, initialement parue dans le recueil  » La Mort » chez les Artistes Fous, automne 2016

  • « L’enfant d’Asturia », dans le recueil collectif Guerres Stellaires, hommage à PJ Hérault, éditions Critic, février 20202

  • « La Parfaite Equation du bonheur », dans le recueil collectif Par-delà l’Horizon, éditions ActuSF, novembre 2021 (réédition), et en numérique toujours chez ActuSF, initialement parue dans le Géante Rouge 2017

  • « Le Thé de Gloria», dans Malpertuis XII, sept 2021

  • « Echos », dans Malpertuis XI, sept 2020

  • « Mars hôtel California », dans l’anthologie « Dimension Rock » chez Rivière Blanche, sept 2020

  • « Le Deuxième sexe », nouvelle numérique gratuite chez AMI, août 2020, initialement parue sous le titre « Le Prix du sang » dans l’anthologie « Rouge » de Nice Fiction, juin 2019

  • « Ma Berceuse », dans l’anthologie Malpertuis IX, mai 2018

  • « Les sables d’Olonna », nouvelle, dans Géante Rouge 2018 (coordination du cahier B)

  • « La cloche, hasta siempre ! » dans le AOC spécial Visions du Futur 2018

  • « Paris, Paradis », nouvelle, dans l’anthologie Arkuiris du Prix Écrire la Ville 2018

  • « Karma Goodies », dans Galaxies 48.

  • « Les Algues », dans le recueil Malpertuis VIII, mai 2017.

  • « Conversation avec un ange » dans Galaxies numérique, nov 2016

  • « La camera obscura » dans Etherval numérique, automne 2016

  • « Pour une simple étincelle d’amour », nouvelle, AOC spécial Visions du Futur 2016

  • « Les fleurs d’Uanuk », nouvelle, dans le recueil numérique « Love Goes By Two » chez Lune Écarlate Édition, mai 2016

  • « Une Veine de cocu », nouvelle, dans le recueil « Malpertuis VII, mai 2016.

  • « Un souvenir d’été », nouvelle, dans le fanzine « Éveil », Association Projet Transition, janvier 2016.

  • « Sur les marches d’Oort », nouvelle dans le recueil « Nouvelles Fantasmagoriques » et numérique, chez Fantasmagorie, 2015

  • « Lisse, le cordon », nouvelle, dans Malpertuis VI, 2015

  • « Paradise 4″, nouvelle, dans le recueil « L’Homme de Demain » chez les Artistes Fous, 2015

  • « Main Verte », dans Etherval N°4, 2014

  • « Coccinelles », nouvelle, dans le recueil sur Folie(s) : dix-huit textes échappés de l’asile, chez les Artistes Fous Associés, 2014.

  • « La Reine de Zangalar », nouvelle, dans le recueil « L’ailleurs est ici » et en numérique chez Fantasy-Éditions.rcl, 2014

Biographie

Après un passage convenu en prépa littéraire, j’ai étudié la photographie, les langues orientales et l’histoire de l’art, avant d’exercer divers métiers qui n’ont pour seule vocation que de nourrir ma passion pour le voyage. Je suis revenue à l’écriture après bien des détours et des chemins de traverse. Encore un moyen, pour moi, d’explorer les territoires de nos émotions et de nos rêves.

Prix et distinctions

Mon roman Quitter les monts d’Automne a reçu le prix Rosny aîné 2021 et le prix Ouest Hurlant du livre de poche 2023 pour sa version en petit format. Les Chants de Nüying a reçu le prix Méditerranée de l’Imaginaire et a été nominé pour la France aux European Science Fiction Awards 2023, dans la catégorie « Best Written Work of Fiction ».

 

Mes nouvelles Pour une simple étincelle d’amour  et La cloche, hasta siempre ! , ont reçu respectivement les 3ème et 1 er  prix au concours Visions du Futur en 2016 et 2018.

bibliographie

Romans :

  • Les Sentiers de Recouvrance, janvier 2024, Albin Michel
  • Les Chants de Nûying, août 2022, Albin Michel (Albin Michel Imaginaire)
  • Quitter les monts d’Automne, septembre 2020, chez Albin Michel (Albin Michel Imaginaire), et chez Livre de Poche, août 2022.
  • Les Oubliés d’Ushtâr, mai 2018, chez Nats Éditions

Nouvelles :

  • « Skin », dans le Bifrost numéro 109, janvier 2023

  • « La Montagne et les eaux », préambule à l’anthologie « Imaginaires d’Asie » du collectif Hydralune, décembre 2022

  • « A cœur suspendu », anthologie Utopiales 2022, sur le thème des limites.

  • « La Cité radieuse », anthologie Hypermondes 2022 sur le thème de l’Utopie, Les Moutons Électriques.

  • « Floraisons », fanzine Once Upon A Time chez RoyZz éditions, mai 2022, initialement parue dans le Géante Rouge 2021, novembre 2021

  • « Venus Requiem », nouvelle, dans l’anthologie « Afrofuturisme » des Imaginales 2022, initialement parue dans le recueil  » La Mort » chez les Artistes Fous, automne 2016

  • « L’enfant d’Asturia », dans le recueil collectif Guerres Stellaires, hommage à PJ Hérault, éditions Critic, février 20202

  • « La Parfaite Equation du bonheur », dans le recueil collectif Par-delà l’Horizon, éditions ActuSF, novembre 2021 (réédition), et en numérique toujours chez ActuSF, initialement parue dans le Géante Rouge 2017

  • Le Thé de Gloria, dans Malpertuis XII, sept 2021

  • « Echos », dans Malpertuis XI, sept 2020

  • « Mars hôtel California », dans l’anthologie « Dimension Rock » chez Rivière Blanche, sept 2020

  • « Le Deuxième sexe », nouvelle numérique gratuite chez AMI, août 2020, initialement parue sous le titre « Le Prix du sang » dans l’anthologie « Rouge » de Nice Fiction, juin 2019

  • « Ma Berceuse », dans l’anthologie Malpertuis IX, mai 2018

  • « Les sables d’Olonna », nouvelle, dans Géante Rouge 2018 (coordination du cahier B)

  • « La cloche, hasta siempre ! » dans le AOC spécial Visions du Futur 2018

  • « Paris, Paradis », nouvelle, dans l’anthologie Arkuiris du Prix Écrire la Ville 2018

  • « Karma Goodies », dans Galaxies 48.

  • « Les Algues », dans le recueil Malpertuis VIII, mai 2017.

  • « Conversation avec un ange » dans Galaxies numérique, nov 2016

  • « La camera obscura » dans Etherval numérique, automne 2016

  • « Pour une simple étincelle d’amour », nouvelle, AOC spécial Visions du Futur 2016

  • « Les fleurs d’Uanuk », nouvelle, dans le recueil numérique « Love Goes By Two » chez Lune Écarlate Édition, mai 2016

  • « Une Veine de cocu », nouvelle, dans le recueil « Malpertuis VII, mai 2016.

  • « Un souvenir d’été », nouvelle, dans le fanzine « Éveil », Association Projet Transition, janvier 2016.

  • « Sur les marches d’Oort », nouvelle dans le recueil « Nouvelles Fantasmagoriques » et numérique, chez Fantasmagorie, 2015

  • « Lisse, le cordon », nouvelle, dans Malpertuis VI, 2015

  • « Paradise 4″, nouvelle, dans le recueil « L’Homme de Demain » chez les Artistes Fous, 2015

  • « Main Verte », dans Etherval N°4, 2014

  • « Coccinelles », nouvelle, dans le recueil sur Folie(s) : dix-huit textes échappés de l’asile, chez les Artistes Fous Associés, 2014.

  • « La Reine de Zangalar », nouvelle, dans le recueil « L’ailleurs est ici » et en numérique chez Fantasy-Éditions.rcl, 2014